Le bois amical


« Je tombe dans le tome I des œuvres de Paul Valéry de la Pléiade sur un texte magnifique, Louanges de l'eau. Un sommet littéraire. Or une note nous apprend qu'il s'agit d'un texte publicitaire commandé à Valéry par la source Perrier. Je trouve remarquable cette utilisation par le génie de Valéry d'une occurrence totalement commerciale. J.-S. Bach ne procédait pas autrement quand il répondait à une commande de sonate ou de cantate par un chef-d'œuvre immortel. Les mots « génie » et même « talent » ne faisaient pas partie de son vocabulaire. Il ne connaissait que le savoir-faire de l'artisanat le plus humble. Je note aussi que « Le bois amical », le poème le plus délibérément homosexuel que je connaisse, ayant été à l'origine dédié à André Gide, cette dédicace a disparu ici. Il est vrai que quelques années plus tard Valéry dédiait sa Jeune Parque au même André Gide. »

(Michel Tournier, Journal extime, Folio, pp.76-77)


P.L. chez P.V.


"P. V.

1897. Je ne crois pas me tromper d'année. Un mardi, vers cinq heures, je sors du bureau de tabac de la rue de Seine, entre la rue Lobineau et la rue Saint-Sulpice. Je me trouve face à face avec P. V. qui entre. Je l'attends. Il sort. Nous allons tous les deux au mardi de Mme Rachilde. Je l'y ai déjà vu quelquefois. Peut-être me parle-t-il de quelques vers que je viens de publier dans le Mercure. En marchant, nous parlons poésie. Il me nomme Baudelaire. Je lui réponds qu'il y a bien au-dessus Mallarmé. De ce jour datent vraiment nos relations.
P. V. habitait alors dans une pension de famille, hôtel Henri IV, rue Gay-Lussac, dont une partie donnait impasse Royer-Collard. Il avait de ce côté sa chambre, assez petite, au premier. Il me pria à dîner à sa table d'hôte.
J'allai le prendre dans sa chambre. J'en revois nettement la disposition. Je serais étonné si je me trompais. J'en fais ci-dessous un croquis (1).




Je suis allé bien des fois dans cette petite chambre. Sur le guéridon, tout encombré de papiers et de quelques livres, un volumineux cahier de papier écolier qu'on voyait tout de suite qui devait être feuilleté et utilisé chaque jour. P. V. notait là les résultats de ses réflexions sur l'art littéraire, suite de ses lectures approfondies de Poe, Rimbaud et Mallarmé. C'est de ce cahier, et des suivants, que viennent les notes des Cahiers qu'il a publiés : Cahier B...

(1) Mon croquis était inexact. Un ami lui ayant montré (ces Notes ont paru dans Comœdia) cette note le concernant, Valéry m'en envoya un plus fidèle. C'est le sien qu'on voit ici."

(Paul Léautaud, Propos d'un jour, Mercure de France, 1947, pp. 65-67)