"P. V.
1897. Je ne crois pas me tromper
d'année. Un mardi, vers cinq heures, je sors du bureau de tabac de
la rue de Seine, entre la rue Lobineau et la rue Saint-Sulpice. Je me
trouve face à face avec P. V. qui entre. Je l'attends. Il sort. Nous
allons tous les deux au mardi de Mme Rachilde. Je l'y ai déjà vu
quelquefois. Peut-être me parle-t-il de quelques vers que je viens
de publier dans le Mercure. En marchant, nous parlons poésie. Il me
nomme Baudelaire. Je lui réponds qu'il y a bien au-dessus Mallarmé.
De ce jour datent vraiment nos relations.
P. V. habitait alors dans une pension
de famille, hôtel Henri IV, rue Gay-Lussac, dont une partie donnait
impasse Royer-Collard. Il avait de ce côté sa chambre, assez
petite, au premier. Il me pria à dîner à sa table d'hôte.
J'allai le prendre dans sa chambre.
J'en revois nettement la disposition. Je serais étonné si je me
trompais. J'en fais ci-dessous un croquis (1).
Je suis allé bien des fois dans cette
petite chambre. Sur le guéridon, tout encombré de papiers et de
quelques livres, un volumineux cahier de papier écolier qu'on voyait
tout de suite qui devait être feuilleté et utilisé chaque jour. P.
V. notait là les résultats de ses réflexions sur l'art littéraire,
suite de ses lectures approfondies de Poe, Rimbaud et Mallarmé. C'est de ce cahier, et des suivants, que viennent les notes des Cahiers qu'il a publiés : Cahier B...
(1) Mon croquis était inexact. Un ami
lui ayant montré (ces Notes ont paru dans Comœdia) cette note le
concernant, Valéry m'en envoya un plus fidèle. C'est le sien qu'on
voit ici."
(Paul Léautaud, Propos d'un jour, Mercure de France, 1947, pp. 65-67)